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Bassin Adour-Garonne

On a tendance à oublier que l'homme n'est pas un simple observateur des écosystèmes, il en fait partie.

#128

Interview d'Eric TABACCHI, chercheur, responsable d’équipe, Laboratoire écologie fonctionnelle et environnement, CNRS et membre du comité scientifique du comité de bassin

Qu’est-ce qu’une Solution fondée sur la Nature (SfN) ?

Il est essentiel de définir précisément les solutions fondées sur la nature et pour cela il nous faut repartir de leur origine, les écosystèmes. On peut comparer un écosystème à une machine qui permet de recycler la matière. Elle va recycler de la matière inerte (des nutriments minéraux, des cadavres) en matière vivante et vice versa à la mort des organismes. . Ce processus de recyclage fait intervenir un grand nombre de processus biologiques, chimiques et physiques dont l’ensemble constitue le fonctionnement de l'écosystème. 

Les SFN reposent sur ce fonctionnement, ou du moins sur une partie de ce fonctionnement, , puisqu’elles vont utiliser ou mimer les processus écosystémiques qui sont jugés utiles à nos sociétés humaines, autrement dit, les services écosystémiques. 

Cette notion de « Solution Fondée sur la Nature » est assez récente. Il y a encore peu de temps, on envisageait la gestion environnementale, plutôt sur des bases techniques, technologiques, voire d'ingénierie lourde. Petit à petit, on est en train de progresser en essayant de limiter ces interventions qui sont à la fois très artificielles et très coûteuses sur les écosystèmes au profit d'interventions plus légères qui vont utiliser les processus naturellement existants.  

Un exemple ? Si l’on souhaite épurer l'eau d’une nappe souterraine pour la rendre propre à la consommation, une SFN va utiliser un processus pour réduire la concentration en nitrates qui s'appelle la dénitrification. Il s’agit en fait d’une association entre la végétation, qui fournit du carbone, et des bactéries qui vont utiliser ce carbone comme « carburant » pour respirer les nitrates qui sont dans l'eau et de ce fait les transformer progressivement. 
Donc, une solution fondée sur la nature va utiliser les systèmes, les processus naturels qui ont lieu au niveau des écosystèmes pour rendre des services à nos sociétés.  

Ces SfN peuvent se servir d’écosystèmes que l'on peut qualifier de naturels ou d’écosystèmes qui ont été modifiés ou créés par les activités humaines.  

Dans tous les cas, ces solutions ont deux avantages principaux.  

  1. D'une part, elles permettent une économie de moyens : on n'a pas ou peu à intervenir pour initier le processus. C'est l'écosystème qui va se charger de sa pleine mise en œuvre. 
  2.  Le deuxième avantage de ces solutions, c’est leur durabilité. Un écosystème est un système auto-organisé et auto-régulé. Les organismes vivants qui le composent, doivent en permanence faire face à des changements environnementaux. Ils vont donc modifier leur activité (ou se remplacer) naturellement pour s’adapter à des variations environnementales. 

Comment favoriser la résilience de ces écosystèmes et la pérennité des services qu’ils nous rendent dans un contexte de changement climatique ?

La résilience est une notion à la fois importante et encore mal comprise. Je viens de le dire, les écosystèmes sont soumis à des variations environnementales plus ou moins intenses. Il peut s’agir de variations environnementales classiques telles que les changements du climat au cours des saisons mais également des variations qui peuvent être plus abruptes comme une pollution ou une crue catastrophique. Il peut aussi être question de quelque chose de plus progressif, comme le changement climatique récent. 
 
Face à ces variations environnementales, l'écosystème doit adapter ses capacités et les organismes vivants présents en son sein doivent s’adapter aux contraintes. Cela peut être assez simple pour certains environnements mais pas pour d'autres. 
 
La résilience est souvent définie comme une capacité de l'écosystème à revenir à un état antérieur. Mais, d'un point de vue scientifique, le fait de revenir précisément à l’état antérieur à une perturbation est hautement improbable. La résilience d’un milieu naturel pourrait plutôt se définir comme sa capacité à revenir, non pas à un état, mais à un mode de fonctionnement qui est proche de celui qu'il avait avant.  

Quand on pense à la biodiversité, cela signifie que l'écosystème résilient ne va pas nécessairement mettre en œuvre les mêmes espèces que celles présentent avant la perturbation, mais peut-être d'autres espèces qui assureront des fonctions proches. On a l'habitude de dire qu’un écosystème qui est riche en espèces, fonctionne mieux. En réalité, cette diversité importante lui permet surtout de trouver plus facilement des candidats pour remplacer les espèces mises à mal par des modifications environnementales, et ainsi assurer une régularité du fonctionnement. 

Ainsi, toute la différence entre la forêt amazonienne et un champ cultivé réside dans le fait que la forêt amazonienne, riche en biodiversité, va pouvoir, seule, mieux faire face aux variations environnementales. A l’opposé, le champ cultivé, pour donner le meilleur rendement possible, aura besoin de l’aide de l’homme par un apport d'eau, d’engrais, de pesticides, en somme de l’énergie supplémentaire…  

Une biodiversité élevée est une garantie pour un milieu naturel de perdurer et de fonctionner plus longtemps malgré les aléas de son environnement, car elle intègre des espèces redondantes du point de vue fonctionnel. 

Dans le cadre des SfN, la préservation de la biodiversité fait partie dans certains cas des prérequis nécessaires à la restauration ou à la conservation des écosystèmes et à la pérennisation des services qu’ils nous rendent. 

Quels impacts sur notre gestion de l’environnement ?

En matière de gestion environnementale, jusqu'à présent, on parlait de gestion des services associés pour désigner les solutions fondées sur la nature… La gestion environnementale avait pour objectif, l’optimisation des services rendus par la nature (épuration, production de matière, régulation des flux).  

Derrière ce changement de terme [NDLR abandon de “services associés au profit de “Solutions fondées sur la Nature”], il y a un véritable changement de paradigme. La crise climatique et les autres bouleversements majeurs nous imposent de nous préoccuper désormais du maintien de la viabilité, c’est-à-dire du fonctionnement normal ou minimal de ces écosystèmes, et non plus nécessairement de chercher une augmentation de leurs performances. 

L'existant, ce qui est déjà là, nous rend service et en prendre conscience nous conduit à le préserver, voir à le développer, ou à le restaurer. Et les bénéfices sont nombreux, il y a des bénéfices pour l’eau mais aussi pour la santé, la sécurité alimentaire, le bien-être des populations... En réalité, on a tendance à oublier que l'homme n'est pas un simple observateur des écosystèmes, il en fait partie. 

L'agence de l’eau a engagé un plan d'adaptation au changement climatique (PACC), qui accompagne ce mouvement général de recherche de méthodes de gestion environnementale qui soient à la fois douces, économes et durables. Les Solutions fondées sur la Nature y ont toute leur place. Elles sont un outil d’adaptation et d’atténuation du changement climatique pertinent. Mais ce changement de modèle, qu’emportent les SfN, est encore peu connu, le premier enjeu est aujourd’hui de sensibiliser l’ensemble des acteurs de notre société.