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L’humain, le vivant, l’eau et la biodiversité, une même histoire…

#121

Interview de Gilles Boeuf, biologiste, professeur
à Sorbonne Université.

L’eau et la biodiversité sont-elles liées ?

Bien sûr ! Un évènement aussi important qu’un robinet qu’on ouvre et de l’eau liquide buvable qui coule… c’est fabuleusement vivant !

Tous les êtres vivants quels qu’ils soient, du virus à l’humain, sont faits d’eau liquide. Et, c’est bien parce que l’eau est à l’état liquide sur la terre que la vie s’y trouve. C’est très important de le répéter partout. L’eau n’est pas faite pour laver sa voiture !

Eau et vivant sont parfaitement synonymes. Il n’y a aucun être vivant qui ne soit pas fait d’eau. Et l’humain est composé des mêmes éléments que n’importe quel autre organisme : de l’eau liquide, des cellules, donc des membranes et du sel.

Tout cela a été un peu oublié et n’est pas suffisamment enseigné. Aujourd’hui je me bats beaucoup pour l’enseignement de l’écologie scientifique aux tout-petits, dès l’âge où l’on apprend à lire, à écrire et à compter.
L’humain, le vivant, l’eau, la biodiversité, c’est une même histoire.

Aujourd’hui la biodiversité est en déclin. Pourquoi ?

On assiste à un effondrement du nombre des individus dans les populations vivantes sauvages, tout groupe confondu. Pour ma part, je ne parle pas encore d’extinction. Quand on compare aux grandes crises du passé, on est sur la même voie si on continue mais j’espère que l’on va s’arrêter.

La première cause de cet effondrement, c’est la destruction des écosystèmes. Un écosystème c’est le résultat d’une association entre des êtres vivants qui construisent quelque chose : une forêt, une prairie, un morceau d’océan… Et ces écosystèmes aujourd’hui, nous les détruisons. On assèche les mares. On coupe les forêts. On détruit le littoral. L’artificialisation des sols, la construction des aéroports, des routes participent à cette destruction.

La seconde cause de ce déclin, c’est la contamination. L’humain ne prend aucune précaution. Il n’a pas la culture de l’impact. Nous sommes vraiment imprévoyants et nous polluons. Nos sols, nos rivières sont contaminés.

Troisième raison, les hommes surexploitent. Quand on parle du vivant c’est intéressant parce que par rapport à une mine de charbon ou de nickel qui est finie, le vivant est a priori renouvelable. Mais en ce moment, nous dépassons les seuils de renouvelabilité chaque année. On surpêche, on surcoupe…

La quatrième raison c’est la dissémination de tout partout. On prend ici des plantes, des animaux, des micro-organismes et on les répand partout ailleurs sur la terre. Cela pose des problèmes dans les îles ou en mer. Par exemple, un bateau qui prend 300 000 tonnes d’eau de mer à Rotterdam et qui les largue en arrivant à Abou Dabi, va transporter des milliards de cellules, de virus, de bactéries et de micro-algues.

Enfin, la dernière raison, c’est le climat qui change trop vite. Que le climat change n’est pas en soi un problème. Le climat a toujours changé. Ce qui se passe actuellement, c’est que le climat change beaucoup trop vite. Cela fait 20 ans que la communauté scientifique l’a écrit et nous sommes tous surpris de voir ces prévisions se réaliser plus tôt que prévu. Regardez l’été qui vient de s’achever.
On détruit, on surexploite, on contamine, on dissémine tout partout et le climat change trop vite. Voilà nos grands défis, aujourd’hui.

Le changement climatique est donc une cause parmi d’autres du déclin de la biodiversité ?

Ce n’est pas l’essentiel. Je ne peux pas vous citer une espèce qui a disparu en France à cause du changement climatique. Je n’en connais pas. Elles ont pu bouger par rapport aux frontières de notre pays mais la France accueille aussi d’autres espèces.

Par contre, cela pourrait se produire. Le changement climatique, j’insiste, va beaucoup, beaucoup trop vite. Des espèces banales sont aujourd’hui très menacées. Les températures maximales atteintes en été y contribuent. Et même en plein hiver, il fait anormalement chaud. Les climatologues s’interrogent pour savoir si la hausse des températures hivernales n’a pas plus d’impact encore que la hausse des températures estivales. Et, tout cela s’accompagne de sécheresses ou d’inondations dramatiques.

Quand on parle des liens entre le vivant et le changement climatique, il faut aussi rappeler que la disparition du vivant à un impact sur le changement climatique. Le vivant qui s’en va, change le climat. Lorsque l’on coupe les forêts, on a une influence sur les précipitations. La surpêche affecte la capacité des océans à stocker le CO2 qui nous empoisonne... Tout cela est lié. De tout temps, le principal facteur d’évolution du vivant a été le climat. L’homme, par les changements qu’induisent ses activités sur le climat, a un impact sur le vivant.

Aujourd’hui, il est tout aussi important d’essayer de freiner le changement climatique que de commencer à adapter nos populations et nos activités économiques à ces changements brutaux.

Le principal problème que l’on vit aujourd’hui, c’est que notre économie s’est beaucoup trop éloignée du vivant. Je donne un cours à Sciences Po Paris qui s’intitule de « l’histoire naturelle à l’économie des hommes ». L’économie ne tient pas compte des réalités biologiques de ce qu’est le vivant. Il faut arrêter de gagner de l’argent en détruisant ou en surexploitant. 

Reste-t-il des raisons d’espérer que tout cela change ?

Si je n’en avais plus, j’aurais arrêté de prêcher partout, comme je le fais depuis 20 ans. Je suis un incorrigible optimiste ! De toute façon, il est beaucoup trop tard pour être pessimiste. On pouvait l’être, il y a 40 ans mais plus aujourd’hui. Je dis à mes étudiants : prenons le problème à bras le corps.

Il y a d’ailleurs une question majeure d’éducation dans cette crise.

Je m’implique beaucoup avec un mouvement basque qui s’appelle « Water Family ». Il rassemble des jeunes qui se battent pour enseigner l’écologie scientifique aux enfants. Il est primordial d’éduquer à tous les âges.

Par ailleurs, on entend beaucoup que la technologie va tout révolutionner. Et il est certain que l’on va l’utiliser, mais dans quelles conditions ? Je pense que le grandissement de l’esprit humain n’accompagne pas la frénésie des découvertes.

A ce sujet, je reprendrai Edgar Morin, le philosophe, qui expliquait au Président : « le problème n’est pas la frénésie scientifique ou technologique, il est l’usage que l’on en fait… »

Aujourd’hui, au niveau écologique, nous avons besoin de plus de sobriété. Il nous faut aimer cette nature qui nous entoure. Elle est tellement belle. Les arbres savent chercher de l’hydrogène dans l’eau et stocker l’énergie pendant la nuit. Intéressons-nous à eux ! Allons voir comment ils font ! Je pense qu’il y a de nombreuses solutions basées sur la nature qui méritent d’être mises en place.