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Interview Pierre-François STAUB

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Avant le colloque du 11 juillet « Micropolluants dans l’eau, un enjeu pour le vivant », nous avons interrogé Pierre-François STAUB sur la connaissance et la prise en compte des micropolluants dans les actions de préservation des écosystèmes.

Pierre-François STAUB, est actuellement chargé de mission « Pollution des écosystèmes et Métrologie » à l'Office Français de la Biodiversité (OFB), il travaille depuis des années sur ces questions de micropolluants.

Pierre-François Staub

Notre connaissance des micropolluants dans les eaux continentales et les milieux marins est-elle comparable ?

Pour le milieu marin, il existe 3 types d’apport de polluants possibles : ceux liés directement aux activités en mer, ceux qui proviennent de la frange littorale côtière directement et puis tout ce qui concerne les apports fluviaux.

Nous développons des projets pour mieux comprendre le lien entre les pressions au niveau continental et les eaux côtières. Nous conduisons ainsi actuellement avec l’IFREMER des campagnes prospectives (projet Emergent’Sea) à grande échelle sur les eaux littorales pour mesurer notamment les résidus de pesticides, de biocides anti-salissures, de métaux, que nous analysons sur une trentaine de stations sur les trois façades littorales nationales.

S’agissant de la connaissance des micropolluants dans les eaux continentales, nous disposons de données historiques plus complètes. Nous réalisons la surveillance de molécules chimiques, dites substances pertinentes à surveiller, sur près d’un millier de stations en France dans les divers bassins. C’est ainsi que nous avons pu nous faire une image beaucoup plus franche de l’impact des activités terrestres, par exemple urbaines, sur les milieux aquatiques avec une corrélation très claire entre la présence de ces molécules, les niveaux de concentration et les activités urbaines.

Cela met également en lumière que les systèmes d’épuration actuels ne permettent pas de s’affranchir de risques écotoxiques liés à ces molécules et à leurs usages à terme. Notre connaissance de certaines molécules de pesticides agricoles nous ont conduit à revoir leur usage. Certains résidus de détergents et de biocides se retrouvent dans les réseaux d’eau urbaine et viennent impacter, même en quantités très faibles, les milieux récepteurs.

Nous ne devons pas négliger l’importance de l’évolution des usages croissants de produits qui contiennent ces molécules, et accroître la prise de conscience de la nécessité de modifier nos pratiques domestiques.

C’est finalement notre connaissance fine de la dispersion et de l’impact de ces molécules dans l’environnement qui alimente et fait évoluer la règlementation.

Quelles sont les actions à mener dans la lutte contre la pollution des écosystèmes ?

La première des actions à conduire c’est de convaincre les acteurs – les usagers des produits chimiques dans l’industrie - de la nécessité d’agir à la source et qu’ils en tireront les bénéfices. Mais pour y parvenir, il faut qu’il y ait un consensus entre ces acteurs sur la nécessité d’agir et l’opportunité de le faire. Cela nécessite du coup de franchir un certain nombre de barrières psychosociologiques, voire économiques.

Par ailleurs, la problématique actuelle va bien au-delà des quelques dizaines de molécules que la règlementation nous oblige à surveiller. Il faudrait prendre en compte des centaines de molécules qui sont toutes susceptibles d’impacter les milieux à titres individuels, mais également en synergie ou en mélange entre elles, dans des proportions qu’aujourd’hui d’un point de vue scientifique on ne sait pas gérer.

Donc pour être vraiment efficace il faut changer notre vision, nos modes de gestion par rapport à ces produits. Aujourd’hui on reste quand même sur une approche substance par substance, une gestion où finalement on attend de voir les problèmes avant de commencer à essayer de résoudre, où le principe de précaution finalement est un peu un précepte utilisé à minima ; donc il y a clairement un enjeu à revoir cette façon d’accepter que les produits chimiques rejoignent l’environnement sans plus de considération.

Il y a un vrai changement qui s’opère mais lentement malheureusement, dans la façon de voir la question de la pollution chimique au niveau communautaire, avec de nouvelles stratégies européennes : avec une stratégie plastique, une stratégie sur les sols, une stratégie de durabilité des produits chimiques, un plan d’action européen zéro pollution, une stratégie sur les résidus de médicaments dans l’environnement, etc. Donc autant de bonnes intentions tout à fait nécessaires et louables qui doivent se traduire ensuite en règlementations et appliquées une fois lorsqu’elles sont établies.

Il faut aussi prévoir les moyens de contrôle, de police éventuellement, en évitant le tout punitif mais il n’en reste pas moins que c’est un mode d’action efficace.

Il faut aussi agir sur les comportements au quotidien, en raccordant les observations, les constats scientifiques, avec les actions dans les territoires pour permettre aux acteurs de disposer d’arguments suffisamment étayés et de méthodes pour communiquer sur ces sujets qui sont délicats. Si on prend l’exemple des médicaments, c’est un sujet assez délicat y compris pour chacun d’entre nous, que de se dire que finalement on dégrade l’environnement tout en se soignant et de faire passer à un niveau de préoccupation semblable l’impact qu’on peut avoir sur notre environnement par rapport à la question de notre propre santé, ou notre propre bien-être. Il y a probablement peut-être à remettre en cause certains grands standards de notre existence. C’est facile à dire, plus difficile à faire. C’est bien sûr sur le sujet pour les décennies à venir.

Vous participerez au colloque sur les micropolluants (11 juillet à Bordeaux), pouvez-vous nous présenter les sujets sur lesquels vous interviendrez ?

Je souhaite revenir sur les 13 projets territoriaux, notamment ceux conduits dans le bassin Adour-Garonne. Par exemple le projet REMPAR à Arcachon, autour de la question des médicaments et de la mobilisation des acteurs de la santé, a fait remonter les besoins et les préoccupations des citoyens. Il  propose des pistes d’actions concrètes. A Bordeaux dans le cadre du  projet REGARD, les citoyens ont été conviés avec tous les acteurs territoriaux autour des questions des micropolluants. C’est un projet très emblématique qui s’est attaché à objectiver par des données scientifiques, l’impact des activités citadines,  notamment domestiques et ménagères, sur la qualité des eaux urbaines.

Ces 13 projets ont dans leur ensemble proposé des solutions innovantes et ont conduit à une vraie prise de conscience des scientifiques qu’ils ont un rôle à jouer qui dépasse la simple information de leurs pairs. Maintenant on attend de la part de la science une prise directe, un savoir-faire en termes de médiation scientifique qui permette de valoriser de manière rapide et concrète des résultats à enjeux d’un point de vue environnemental.

En conclusion, je souhaite indiquer que ce colloque est un jalon national tout à fait significatif et nécessaire pour donner suite aux politiques nationales sur les micropolluants qui ont été impulsées depuis une dizaine d’années sous le pilotage du ministère de la transition écologique, avec le grand concours des agences de l’eau. Ce processus de planification nationale permet de fédérer de nombreux acteurs notamment en prise avec la politique de l’eau (instituts de recherche nationaux, des universitaires et d’autres sphères que la sphère scientifique).

Je pense que ce colloque arrivera à un moment de transition puisque le plan national micropolluants précédent est échu depuis décembre 2021, et qu’il y a une dynamique actuellement au niveau du ministère et peut-être en interministériel, j’ose l’espérer, pour constituer le troisième plan national micropolluants qui devrait redémarrer fin de l’année. Les échanges que nous aurons lors de ce colloque pourront alimenter de manière structurante la déclinaison des axes de ce futur plan. J’espère que dans les tables rondes et les échanges sauront proposer des ouvertures pour élargir la problématique au-delà des seuls milieux aquatiques par exemple, car on sait bien que les polluants n’ont pas de frontière. La plupart viennent de terre. Certains trouvent leur chemin dans les milieux aquatiques mais une bonne partie vient imprégner nos sols, vient contaminer notre air, notre biosphère. Il est clair que si dans la décennie qui vient, on parvient à unifier ces enjeux on sera plus puissant dans la lutte contre ces pollutions, contre finalement un usage un peu trop aveugle de tous ces produits chimiques.