Liens de partage

Interview de Bernard Legube

#111

Professeur émérite de l’université de Poitiers, Expert « Qualité et traitement des eaux », Président du Conseil scientifique du Comité de bassin Adour-Garonne, Bernard Legube répond à nos questions sur les micropolluants.

1/ En tant qu’Expert en qualité et traitement des eaux, pouvez-vous nous dire quelques mots sur les effets des micropolluants ?

Les micropolluants sont partout autour de nous : hydrocarbures, métaux lourds, pesticides, résidus de médicaments …, dont certains sont cancérogènes, mutagènes et/ou reprotoxiques, c’est-à-dire présentant une toxicité et un risque avérés. Toutefois, ces substances chimiques se retrouvent dans les milieux aquatiques à des concentrations infimes de l’ordre du microgramme ou du nanogramme par litre, d’où l’appellation de « micropolluants ». Pour autant  avec ces très faibles concentrations, ces molécules peuvent avoir des impacts sur les organismes naturellement présents dans les écosystèmes aquatiques et terrestres.

Certaines études ont par exemple montré des impacts sur la sexualité et la reproduction des poissons, en faisant le lien avec les traces de substances hormonales solubilisées. A long terme, cela peut entraîner une diminution des tailles de population, ce qui peut avoir des répercussions sur l’ensemble des chaînes alimentaires. Certains micropolluants aiment particulièrement les graisses, on dit qu’ils sont lipophiles. Les poissons gras en bout de chaîne alimentaire, comme le thon ou le saumon, en stockent (métaux, pesticides..) par bioaccumulation et peuvent donc présenter des risques toxicologiques par « empoisonnement secondaire ». Les effets sur les espèces animales sont de plus en plus constatés, notamment grâce à des études in-vitro en laboratoires, par exemple en utilisant des « organismes modèles » comme les poissons zèbres, permettant de réaliser plus simplement ces études que dans le milieu naturel.

Il est difficile de savoir si cette toxicité liée aux micropolluants dans l’eau touche l’homme, notamment parce qu’ils sont encore moins présents dans les eaux destinées à la consommation humaine (eaux potables) grâce aux performances des procédés de traitement, d’ailleurs toujours coûteux. Mais nous savons que la toxicité de ces micropolluants découle souvent d’effets à long terme, qui peuvent n’apparaître que lorsque l’exposition a eu lieu à des moments très précis du développement des individus et qui peuvent être différents des effets associés à une exposition à forte dose. Les risques sanitaires liés à l’eau distribuée sont toutefois minimes et doivent être relativisés car l’exposition des humains aux micropolluants dépasse largement l’eau que nous buvons.

2/ Les micropolluants sont détectés dans l’air, le sol, l’eau. Pensez-vous que ces contaminations sont de mieux en mieux connues, en particulier dans l'eau ?

Ma première réponse est « Oui », car nous avons fait énormément de progrès ces 2 ou 3 dernières décennies sur leur analyse, c’est-à-dire sur leur identification et leur quantification dans l’eau et autres milieux naturels et parce que les micropolluants dans l’eau font l’objet d’une surveillance accrue depuis plusieurs années. Mais, je tempérerai cette réponse car il est impossible de suivre les plus de 100 000 molécules considérées aujourd’hui comme micropolluants. D’où l’intérêt des bio-essais qui sont des méthodes d'analyse qui mettent en œuvre des organismes vivants pour mesurer leurs réactions aux polluants présents collectivement dans l'environnement mais qui nécessitent encore de nombreux développements.

3/ Y a-t-il une spécificité du bassin Adour-Garonne concernant les micropolluants ?

La contamination de l'eau du bassin Adour-Garonne par les micropolluants a des origines diverses. Historiquement, ce sont les rejets industriels qui ont pollué l’environnement et notamment les rivières avec par exemple le cadmium. Du fait de l’importance de l’agriculture sur le bassin Adour-Garonne et de son développement « moderne » particulièrement dans le domaine des grandes cultures et de la viticulture, les pollutions dites « diffuses » d’aujourd’hui sont plutôt caractérisées par la présence fréquente de pesticides dans les eaux ainsi que de nitrates (qui ne sont pas des micropolluants). Par ailleurs, comme partout, les eaux usées d’origine domestique contiennent aussi des micropolluants comme des phtalates, des parabènes et des résidus médicamenteux. En fait, nos modes de vie impactent la qualité des eaux sur tous les bassins hydrographiques. On peut aussi le dire différemment : la présence de micropolluants dans l’eau peut être considérée comme une « mémoire » ou un reflet de nos activités, y compris de notre santé, donc de l’activité socio-économique actuelle et parfois passée de nos territoires.

4/ Pouvez-vous nous dire quelles sont vos attentes à l'égard du colloque sur les micropolluants ? (cet évènement a été reporté en 2022, la date sera précisée très prochainement)

Je pense que ce colloque contribuera significativement à diffuser des connaissances récentes sur le sujet et à informer le public du danger réel mais relatif que représentent les micropolluants dans les eaux. Il participera également à faire avancer les débats autour des solutions à mettre en oeuvre qu’elles soient préventives ou curatives et, donc, à positiver sur l’avenir, notamment par la mise en place des programmes de mesure du futur Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) de l’agence de l’eau Adour-Garonne et de son Comité de bassin.

Pour ma part, je relativiserai en partie les projets ambitieux mais réalistes de reconquête de la qualité des eaux en précisant que, même si on arrête toutes les émissions de micropolluants dans l’environnement, ce qui est illusoire, on en retrouvera dans l’environnement pendant encore de nombreuses années et notamment dans les eaux souterraines. J’en prendrai pour preuve des molécules interdites d’usages depuis plus de 15 ans que l’on retrouve encore dans les milieux aquatiques (atrazine, métalochlore, pyralène…) sous leur forme originelle de molécule « mère » et surtout sous forme de métabolites, c’est-à-dire de molécules « filles » résultant de légères transformations biotiques ou abiotiques. Les résultats des programmes de mesure ne se traduiront donc pas par des progrès importants immédiats sur la qualité des eaux mais plutôt graduels et étalés sur plusieurs années ou décennies et, ce qui est important, pérennes.

J’attirerai également l’attention sur les effets, encore mal documentés, du changement climatique sur le risque d’augmentation de la concentration des micropolluants par effet de moindre dilution, ainsi que sur celui de leur éventuelle lixiviation accélérée des sols et des sédiments. Les diminutions attendues et déjà constatées des débits des cours d’eau et les épisodes de pluies extrêmes, par exemple, pouvant contribuer à la remobilisation des pollutions stockées seront les causes principales de ces effets. Le chemin sera donc long et difficile, il faut s’y engager rapidement et fortement dès aujourd’hui.